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Mon université en 2030
jeudi 26 décembre 2019, par
Texte d’une intervention que j’ai faite dans le cadre d’une soirée Cap 2030, organisée par le EdFab à Cap Digital le 27 février 2019.
Bonjour, je m’appelle Pierre Boudes je suis enseignant-chercheur en informatique et je suis ici pour vous parler de l’avenir à dix ans de mon université, l’une des 13 universités ayant succédé à la Sorbonne après 68.
L’université Paris 13 est basé sur cinq sites au Nord de Paris principalement en Seine-Saint-Denis, elle est pluridisciplinaire, et accueille environ 23000 étudiants et étudiantes, elle héberge une trentaine de laboratoires de recherche (où est notamment né le nutriscore en santé publique) et a développé tôt de nombreux liens avec les entreprises et l’innovation. Elle accueille également une ferme pédagogique et beaucoup de ses membres profitent de son implantation au Nord pour vivre plus près de la campagne.
Voici le nord de Paris, ou l’on distingue encore le périphérique. Il ne fait aucun doute qu’en 2030, il aura disparu et que nous serons entrés dans une aire de mobilités douces, c’est à dire ne développant pas de nouvelles atteintes à la biosphère. Le site principal de l’université Paris 13 est à Villetaneuse avec des sciences, sciences humaines lettres, droit, économie gestion et un IUT, vient ensuite par ordre d’importance le site de Bobigny adossé à l’hôpital Avicenne, dans les bâtiments historiques de la célèbre revue l’Illustration, avec la médecine et un IUT qui développe notamment des formations aux métiers du numérique complémentaires de celles de l’IUT de Villetaneuse, puis vient l’IUT de Saint-Denis et son antenne de la Hall Montjoie non loin de la MSH Paris Nord qui accueille le EdFab enfin nous avons une petite antenne à Argenteuil, dans le Val d’Oise département qui envoie beaucoup de jeunes étudier à Paris 13. En 2030, Le T11 express sera prolongé et la gare Drancy-Bobigny raccourcira le trajet entre nos deux sites principaux Villetaneuse et Bobigny.
Que deviendra mon université dans 10 ans ?
Eh bien ! l’université en général, telle que nous la connaissons, n’existera plus. Pour l’enseignement, elle sera remplacée par des assistants personnels alimentés par des contenus interactifs et adaptable et des rencontres dans des tiers lieux. Comme pour les serveurs et l’accès réseau les locaux seront une commodité que nous trouverons au coin de la rue. Les promesses cybernétiques des années 60-70 d’une gestion intelligente de nos structures et institutions seront enfin réalisées et nous aurons tous des voitures volantes. Fin de l’histoire.
Les voitures volantes, vraiment ?
Vous savez comme moi que cela ne se passera pas comme ça et que ça n’ira pas si vite. Dommage ça aurait été l’occasion de changer un peu de métier ! Mais ce type de prédictions sont vouées à être démenties. À ce compte-là depuis le temps qu’on en parle, nos grand-parents auraient connu bien avant nous les voitures volantes et la semaine de 3h de travail.
En 2030, nous sommes 40 ans après la publication du post-scriptum aux sociétés de contrôle de Gilles Deleuze, dans le numéro un du mensuel l’Autre Journal, une autre grande revue ! les systèmes disciplinaires et d’enfermement (usine, armée, école) ont largement été remplacés par le contrôle à l’air libre, appuyé par le numérique. L’évaluation continue, les compétences et les entreprises sont entrées à l’université et ont remplacé une bonne partie des savoirs développés pour eux même et sanctionnés par une évaluation terminale.
Mais est-ce si terrible ? Non, c’est juste différent et le pouvoir émancipateur d’internet, les progrès de la démocratie et de la justice nous aident à caractériser et à corriger les nouveaux régimes de dominations comme les anciens. Ne perdons pas de vue ce caractère émancipateur essentiel du numérique et d’internet !
En 2030, l’université ne s’est pas vidée de ses étudiants et étudiantes laissant des locaux en très mauvais état qui seraient autant de nouveaux espaces d’expérimentation pour les manips de recherche les plus folles.
La décrue démographique sera pour plus tard et libérera 15% des places, mais en 2030 nous sommes toujours sur le plateau du baby-boom des années 2000. L’université Paris 13 sera sans doute moins sensible à cette décrue, du fait de la situation de la Seine-Saint Denis, premier département frontalier de France. En 2030, nos partenariats avec l’Afrique en particulier francophone se sont d’ailleurs développés.
En 2030, les ordinateurs sont partout et plus que jamais sur nos corps. Les millions d’heures que passent chaque année nos étudiants et étudiantes dans les transports sont mises à profit pour accéder à des contenus adaptés pour les nouveaux usages : textes, audio, vidéo sous-titrées et aux montages adaptatifs, jeux et interactions multiples.
Globalement les universités se sont saisies des enjeux autour de cette ressource finie ultime qu’est l’attention. Les approches design et par expérience utilisateur sont déclinées à toutes les situations : mobilité, learning spaces, seeing spaces (à la Bret Victor). L’échange entre pairs, le dialogue, les situations de classe inversée, la recommandation d’interactions avec de nouvelles personnes, la mise en pratique de l’intelligence collective sont autant de situations qu’il est devenu naturel de pratiquer au quotidien, à l’université, quitte à rester très low tech. La diversité (de sexe, de culture, de discipline, d’origine sociale) est reconnue comme une richesse pour ces situations et elle est recherchée en soi.
En 2030, des réseaux sociaux libres et décentralisés favorisent les identités multiples et fragmentées. Ces identités sont nomades, c’est à dire portables d’un hébergement à l’autre sans perte de données ou de relations. Des blockchains sécurisent la certification des documents et peut-être même qu’elles servent à opérer des monnaies locales complémentaires, facilitant la vie quotidienne. Le self data est la norme et les données sont liées entre elles sous le contrôle de leurs porteurs.
Pour les agents, le télétravail et le nomadisme sont devenus des évidences, comme pour les étudiants et les chercheurs. On se retrouve n’importe où.
Les chercheurs et chercheuses ne prennent plus l’avion pour participer à des conférences dont les actes seront publiés chez ces éditeurs qui en soutirent encore aujourd’hui des rentes colossales.
Les modalités d’animation, de production, de diffusion et de préservation des savoirs scientifique sont complètement remaniées, pour une nette amélioration de la qualité de la communication au sein des communautés de recherche et vers l’extérieur.
En 2030, la maison des sciences numériques de l’université Paris 13 est un lieu de rencontres interdisciplinaires appuyés par les sciences des données et la transformation numérique. Notre université est devenue un pôle majeur du numérique dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation.
En 2030, la transition énergétique a eu lieu et nous en sommes pleinement acteurs, par la recherche et l’enseignement, mais aussi en tant qu’acteurs économiques du territoire. Dans les transports, comme dans le numérique, l’énergie la plus verte est celle que l’on ne consomme pas. Nous économisons des transports et favorisons les mobilités douces et la sobriété énergétique quitte à choisir des solutions low tech. Peut-être qu’un démonstrateur de méthanisation de déchets organiques que nous aurions installé à côté de notre ferme pédagogique nous permet de trouver les déchets facilement valorisables dans l’alimentation énergétique de nos campus ou dan celle du data center régional que nous opérons pour l’ensemble des universités d’Île-de-France.
En 2030, l’université en général et l’université Paris 13 en particulier est résolument tournée vers l’avenir et les enjeux de son temps dans une logique d’ouverture, de partage et de collaboration avec les acteurs privés, les collectivités et la société civile.